Billet écrit en 2015
C’est l’histoire d’une éducation à la croisée des époques et des technologies. Où les moyens old school s’effacent peu à peu au profit de la modernité. Du papier au dématérialisé, en passant par la télévision, ma passion pour le sexe s’est éveillé grâce à différentes sources, parfois à portée de main, parfois à aller chercher, soi-même, le rouge aux joues. Un chemin qu’Internet a sûrement définitivement envahi, donnant à cette histoire un goût de fin d’époque. C’est pourquoi il me semblait intéressant de la raconter, aussi bien que me le permettent mes souvenirs.
Les petits papiers
Au début, il s’agit d’images. Des images isolées qui marquent et nous mettent dans un état qu’on ne comprend encore pas vraiment. Comme cette photo dénudée de Geri Halliwell dans un magazine de stars, à l’époque où elle ne chantait pas avec les Spice Girls mais était modèle de charme, notamment pour la célèbre Page 3 du Sun. Ou bien ces pages estivales du magazine Consoles +, où les dessins de mangas érotiques nous chatouillaient les yeux et faisaient monter la température. Après tout, le premier numéro de mon premier magazine, que j’ai encore, ne montrait-il pas une illustration « sexy » de l’héroïne de Tomb Raider, Lara Croft ? Dans l’ensemble, les cultures jeux vidéo et manga peuvent provoquer le trouble à tous les coins de rue, entre les personnages féminins calibrés pour les hommes (à l’époque, le féminisme et les jeux vidéo ne s’étaient pas encore rencontrés) et les inévitables clichés du manga (petites culottes et grosses poitrines). Encore sans Internet, ces précieuses sources d’émoi se partageaient et provoquaient l’attroupement, soit dans une cours d’école (pour les Consoles +) soit à l’abri du vestiaire de sport, avec un magazine cette fois purement pornographique, qu’un camarade avait ramené d’on ne sait où. C’était entre la fin de l’enfance et le début de l’adolescence, quand la curiosité était encore partagée, et qu’on ne se réfugiait pas encore dans nos chambres pour partir en quête de notre corps et de notre plaisir.
L’autre support qui accompagnait mes envies était commercial. Comme disait Fuzati, le rappeur du Klub des loosers : « Allongé sur mon lit, je visualise des choses très positives / Comme les pages lingerie du catalogue La Redoute ». Fuzati a ici traduit en paroles ce que nombre de jeunes garçons et filles ont vécu : parcourir les pages lingerie des catalogues La Redoute, 3 Suisses et autres, en quête non pas de l’ensemble de la mort mais de ce à quoi ça ressemble, une femme ou un homme presque nus. Moi, je ne faisais pas que regarder, je collectais, je rangeais, dans un cahier à pochettes transparentes, que je devais cacher quelque part pour ne pas être découvert. Il m’arrivait parfois de l’embarquer dans mon cartable, pour le partager avec quelques élus dans le car scolaire. Et au bout du trajet, enfin seul, entouré de sièges plus hauts que moi, il arrivait parfois que je prenne les choses en main…
Je ne sais pas si ces cahiers ont survécu au passage des années. Soit ils m’attendent dans un carton, ce qui m’amuserait, soit ils ont déjà été recyclés 50 fois. S’ils existent encore, ils feraient figure de souvenir d’une époque révolue. Il y a de quoi finir dans un musée de l’érotisme ! Je me demande si le papier a encore une importance de nos jours dans l’éveil sexuel des jeunes. Ils restent nombreux à lire des mangas, pile à l’époque où certains éditeurs se sont fait une place dans le genre érotique voire pornographique. Les filles peuvent piquer 50 nuances de Grey à leur maman. Mais les magazines, les catalogues, c’est de l’histoire ancienne, non ?
Il était un dimanche soir…
Toutes ces images n’avaient qu’un défaut, celui d’être statiques. L’envie de voir des images qui bougent se faisait sentir. C’est là qu’arrive M6. A l’époque, la sixième chaîne diffusait le fameux téléfilm érotique du dimanche soir, qui, s’il paraît kitsch et mielleux aujourd’hui, était un rendez-vous prisé avant que la pornographie devienne omniprésente. Il est difficile aujourd’hui de remettre la main sur ces films pleins de sensualité, parfois jusqu’à l’excès, où les acteurs et actrices faisaient de leur mieux pour ne pas trop en dévoiler (c’était interdit aux moins de 16 ans après tout). J’ai quand même déniché une vidéo qui donne une bonne idée de ce qui était montré, et de comment ça l’était.
Le plus intéressant dans l’histoire n’est pourtant pas ce qu’il y avait dedans. Car avant de voir, il fallait trouver comment les regarder. Pas facile, en effet, le dimanche soir, quand il faut aller à l’école demain, d’être debout pour regarder la télévision, et encore plus un film érotique… Heureusement, le magnétoscope permettait de contourner cette difficulté, soit en programmant un enregistrement, soit en se levant pour le lancer. Que de préoccupations ! Et ce n’était pas fini, car il fallait ensuite être assez tranquille pour les regarder… Heureusement, la télévision dans la chambre réglait le problème. Il y avait juste à être sûr que personne n’allait ouvrir la porte sans demander notre avis, et nous prendre la main dans le sac.
Internet ou l’infini
M6, en quête de respectabilité, a mis fin à la diffusion des téléfilms érotiques en 2005, un flambeau désormais repris par certaines chaînes de la TNT. A l’époque, je n’en ai probablement rien su, car j’étais déjà passé à autre chose depuis quelques années. Le responsable ? Internet. Un moyen de communication merveilleux, une porte ouvert vers la connaissance mais aussi un océan de contenus propres à faire tourner la tête d’un garçon de 13 ans. Assez vite, mon intérêt pour les mangas m’a amené vers les gravure idols, les modèles japonaises softcore. Je me souviens particulièrement de deux d’entre elles : Sakai Wakana et Eiko Koike.


Fini les catalogues de lingerie fine et les téléfilms un peu niais, j’avais trouvé ma nouvelle passion. Le seul point commun avec mes expériences précédentes restait la discrétion. Pas qu’on m’aurait spécialement reproché de faire ce que je faisais. Après tout, ce n’était pas un secret, car les murs de ma chambre étaient de plus en plus tapissés de photos sexy, sans que ça n’émeuve grand monde chez moi. Il y avait cependant quelque chose d’amusant dans le fait de se cacher, se cacher pour chercher, pour voir, pour collecter, pour partager. Car Internet permettait aussi de ne plus vivre ces découvertes dans la solitude. Il y a quelque chose d’amusant à avoir un jardin secret, mais aussi à vivre avec les autres ces moments pleins d’intensité, où le cerveau bouillonne tant qu’il faut que ça sorte. C’est une question d’âge, sans doute, de caractère, aussi. Ce blog existe précisément par la volonté de ses auteurs de partager ce qui pour certains&es relève strictement du privé. Partager, donc : avec ses amis&es, d’abord, puis sur des sites, souvent connus des mêmes personnes. Déjà en 2002, mes potes et moi avions nos sites, nos forums, sur lesquels on publiait nos délires, nos vidéos stupides, où l’on parlait de tout, des profs, de l’actualité, de musique… Et puis, il y avait des pages avec ces gravure idols, que je créais une à une, quand j’avais la liberté de les afficher en grand sur l’ordinateur. Et sur nos forums, il y avait toujours une rubrique pour parler sexe, car tout le monde avait quelque chose à dire. C’était un peu notre radio libre, où les jeunes comme moi partageaient leurs fantasmes, tandis que nos aînés&ées racontaient ce qu’ils&elles avaient déjà vécu, en vrai.
Même si les discussions étaient souvent sans tabou, les quelques images ou vidéos qui étaient partagées restaient globalement soft. En clair, la pornographie n’a pas déferlé sur nos échanges, ou par petites touches. Au milieu des années 2000, c’était encore un sujet assez tabou et qu’on ne partageait pas, au risque de n’être pas très bien vu. Pourtant, en coulisses, vers 14/15 ans, quelque chose changeait. Les images n’étaient plus les mêmes, les désirs non plus. Au début, ça fait drôle. Le porno, c’est cash, rien à voir avec les films érotiques et les gravure idols qui batifolent sur la plage. Et puis on s’habitue. Avec les connexions de l’époque, pour voir une vidéo, il faut la mériter. Etre patient et parfois accepter de voir l’action se dérouler par petits morceaux. Le téléchargement était la solution. Certes, ça prenait du temps, mais au moins, il y avait toujours, caché dans un recoin du disque dur, quelques vidéos triées sur le volet quand l’envie se faisait sentir. Parfois, les meilleurs potes demandaient une adresse.
A rebours de ces évolutions technologiques, c’est au lycée que nous avons commencé à avoir le courage de nous procurer des magazines qui, bien qu’assez inoffensifs, nous rendaient rouges rien que de les acheter. Des titres aujourd’hui abandonnés comme Max ou Maxim, qui pouvaient montrer de la nudité mais rien de plus. Pas facile, au début, de s’afficher devant le vendeur du marchand de journaux, même si lui devait sourire ou s’en ficher. Aujourd’hui, hormis Lui ou FHM, cette presse n’a plus beaucoup de représentants. Même Playboy, dont la version française est de toute manière arrêtée, a tiré un trait sur la nudité (…avant de changer d’avis).
Changement d’époque
Peu à peu, l’idée de vivre ces expériences avec un&une partenaire en chair et en os devenait de moins en moins abstraite. Chacun l’a fait, à son rythme, sans pour autant délaisser la consommation de contenus érotico-pornos sur divers supports. Désormais, en 2015, toute la presse court tester la réalité virtuelle pornographique chez Dorcel, et le X est devenu branché. Des gens s’inquiètent que les jeunes passent tout de suite par la case porno sans avoir un parcours comme celui que j’ai raconté ici, où la progression vers des images explicites s’est faite par étapes. La pornographie est trouvable en un clic, et peut être consommée aisément grâce aux connexions plus rapides. Internet a aussi fait naître les webcams, le porno amateur, et les smartphones ont peu à peu fait émerger le sexting et déplacé la drague des petites annonces vers les applications dédiées. Et c’est sans parler des réseaux sociaux, bien sûr, même si leur pudibonderie empêche de partager des contenus franchement sexuels, à l’exception de Tumblr, où ont fleuri les blogs d’anonymes partageant leurs histoires, leurs doutes, leurs photos ou les enregistrements de leurs orgasmes. Pour résumer, tout a changé, et plus personne ne visite la section lingerie du site de La Redoute. Pour autant, nostalgie ne doit pas rimer avec jugement. Ce que l’on peut souhaiter aux plus jeunes, c’est que leur découverte de la sexualité (ou de l’asexualité) soit la plus harmonieuse possible, qu’ils&elles aient quelqu’un à qui confier leurs questions, leurs dégoûts ou leurs joies, quel que soit le moyen qu’ils&elles utilisent. Et peut-être que dans 20 ans, ils&elles nous raconteront à leur tour.